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Le piano de Staline


Le piano de Staline

Le spectacle en détail

L'avis de Bruno Ramos

Parlons du concept : lors d'une réunion informelle de nuit, Staline et Jdanov, son glacial aide de camp, convoquent Chostakovitch et Prokofiev, deux dinosaures inamovibles de l'Académie des Compositeurs. Les deux caractères de ces derniers sont bien différents : l'un démarre sa carrière, l'autre en est bientôt à la fin. Durant toute la nuit, à coup de lavage de cerveau subtil, de menaces plus ou moins voilées, de retournements de caractères, le bourreau de Sibérie et son âme damnée vont tenter de faire plier les deux musiciens pour qu'ils composent de la musique avant tout communiste. Au-delà de la musique, c'est tout l'art que Staline veut modeler à son image, un art "au service du peuple", comprendre par là passéiste et ne laissant aucune place à l'innovation.

Le premier mot qui me vient à l'esprit est : surprenant. Surprenant en effet, que de voir Pétiniot en Staline. Comment dire... il n'a pas la carrure, dirons-nous. Mais le bougre s'en sort bien, malgré quelques errances de textes pas trop gênantes. On aurait plus vu Jacques Viala à sa place, même si l'acteur à la voix de stentor rend un Jdanov plus effrayant que jamais, tout en froideur et au ton plein de la morgue toute militaire qui caractérise le vieux soldat endurci. Plus étrange est le découpage de la pièce elle-même: avant l'entracte, on assiste à une montée progressive de la terreur psychologique infligée sans répit par Staline et Jdanov, subtil lavage de cerveau orchestré de main de maître; faux airs protecteurs de l'un, les élucubrations à première vue accessoires, les échanges discrets entre Staline et Jdanov pour se charger tour à tour des deux musiciens.... tout concourt à créer une atmosphère digne des plus grands films d'espionnage. On pense à "Sans Issue", à "Gorky Park", où la logique monstrueuse d'écrasement à la Russe prend toute son ampleur. Déjà, la logique implacable d'épuration est en marche, les camps de Sibérie se remplissent, et l'entracte arrive curieusement sur une scène dramatique au possible, tandis que Staline réduit en pièces l'œuvre de Prokofiev sous les yeux du compositeur humilié.

La deuxième partie de la pièce change radicalement de ton, alors que Staline, Jdanov, Chostakovitch et Prokofiev collaborent bon gré mal gré pour recréer un hymne épique à la gloire d'un héros géorgien, patrie d'origine de Staline. On passe alors à une comédie bouffonne, le texte devient volontairement grotesque, et l'interprétation musicale absurde elle-même prend toute la place. Pendant une bonne heure, on assiste médusé à une répétition digne d'un sketch des Monthy Pythons; l'humour à froid cède la place à un burlesque déstabilisant. Le personnage de Staline quant à lui, perd peu à peu tout repère avec le réel, et devient de plus en plus mégalomane. Il faut attendre le dernier quart de la pièce pour revenir au sujet principal, avec cette certitude terrifiante que le choix se résume à l'art pour l'art ou la vie sauve.

Je ne sais pas trop quoi penser de la pièce au final. Sur la forme, rien à dire. Les interprétations sont très convaincantes:  Frison en compositeur paranoïaque, faible et cherchant surtout à sauver sa tête est épatant en rôle à contre-emploi, Viala est tout bonnement terrassant en vieux militaire converti par goût à l'idéal communiste et devenant par là même plus radical que Staline lui-même. Mais cette perfection formelle ne fait malheureusement pas le poids à mes yeux, vis-à-vis de la structure qui plombe complètement l'ambiance. Pour preuve, dans la deuxième partie, certains passages volontairement faussement drôles ont déclenché plusieurs explosions de rires, alors que la menace pointait sous l'aspect comique des répliques... ce qui est visiblement passé au-dessus de la tête de beaucoup de spectateurs.

Posté le 30-04-2009
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