Combat avec l’Ombre
La mémoire est comme des petites cases soigneusement rangées et étiquetées qui renferment nos souvenirs.
Un peu comme les deux comédiens font coulisser la porte pour entrer sur le plateau, Frédéric Dussenne, en adaptant au théâtre Le Boulevard périphérique d’Henry Bauchau, nous propose d’en ouvrir une.
Entre pénombre et lumière, un homme déroule les fils de sa vie, où plutôt de sa jeunesse.
Instants privilégiés, amitié virile, partage d’émotions, le narrateur évoque Stéphane comme pour mieux faire son deuil d’un chagrin qui le hante depuis des années.
Un peu comme la caméra qui filme en live les deux protagonistes, sa pensée s’attarde sur certaines scènes, se focalise sur certaines images, les agrandit, les auréole d’une dose d’héroïsme ou s’exalte sur l’évocation d’un moment de bonheur.
Mais derrière les gros plans, au-delà de certaines visions magnifiées, l’ombre est là interrogative, inquisitrice et le pousse à déchirer le voile confortable qu’est le filtre de la mémoire.
Qu'est-ce qui se cache derrière Stéphane, le collègue de chantier, le mentor qui les jours de repos l’entraînait à l’assaut des rochers avoisinants, le jeune résistant capturé et probablement torturé par les Allemands, le corps retrouvé noyé dans un étang ?
Et si comme souvent, il n’y avait pas de réponse précise, mais plusieurs vérités et des questions existentielles ?
Adaptateur, scénographe et metteur en scène, Frédéric Dussenne mélange le visuel, le théâtre, la gestuelle, les silences et les regards pour créer une ambivalence permanente, une moiteur pesante qui s’allège d’un sourire, pour marquer les esprits par une image forte.
Il maintient habilement l’équilibre entre ombre et lumière, entre souvenir magnifié et réalité.
Sombre, erratique et confus, Jérémie Siska est l’homme hanté par le passé, à la recherche de réponses dans l’embrouillamini des sentiments et les vagues de réminiscences qui l’assaillent.
À l’opposé, le lumineux Emmanuel Caillard, artiste circassien, irradie de présence silencieuse et radieuse. Il souligne par une gestuelle soigneusement concoctée les paroles ou les errements du narrateur et renforce l’émotion et la puissance qui se dégagent des mots d’Henry Bauchau.
Spectacle de contrastes, tendre et bouleversant, déroutant et limpide, Combat avec l’ombre ne manquera pas de séduire les amoureux de textes prenants et de questionnements identitaires.
Originale dans sa complexité épurée, la mise en scène de Frédéric Dussenne nous guide merveilleusement dans l’enchevêtrement de perceptions embrouillées, de souvenirs flous, de sensations troubles et de contradictions troublantes.
Spectacle vu le 02-02-2012
Lieu :
Poème 2
Une critique signée
Muriel Hublet
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