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Le Roi Lear
Le Roi Lear  - Théâtre Royal du ParcVieillir…
Ce mot résonne différemment en chacun de nous.
Impotence, petits-enfants, retraite, solitude, incontinence, mort, maladie, hospice.
Comment admettre les atteintes de l’âge ?
Jamais, les publicités n’ont autant proposé de gel raffermissant, d’antirides ou crème rajeunissante.
À l’heure où vieillir semble devenir une injure ou un état dégradant,  Shakespeare et son Roi Lear sont presque prémonitoires.

Qui n’a jamais accepté d’aller voir Tante Lalie dans son home qui sent le vieux et la pisse simplement pour le petit billet qu’elle nous glisse dans la main ?
De même, qui a songé que si la petite vieille agit ainsi c’est pour briser un peu sa solitude, pour continuer à exister pour quelqu’un ?
Combien de père ou de mère n’a pas vendu ses biens, partagé ses revenus entre sa progéniture, avec la promesse d’être logé, aidé et accompagné pour ses derniers jours ?
Combien d’entre eux ne se sont-ils pas retrouvés relégués dans leur chambrette pour ne pas déranger leurs enfants, sans le droit d’émettre une remarque, avant d’être un beau matin déposé dans une maison de repos car « Tu comprends, on ne sait plus t’aider nous ».

C’est le message profondément humain que Lorent Wanson transmet dans sa vision de la tragédie de Lear.
C’est une nouvelle traduction, signée Françoise Morvan et André Markowicz, qui nous en est proposée.
Comme plus proche de nous, de nos préoccupations, de nos tourments, elle semble couler de source, elle parle vrai, sans paraître versifiée ou dans un langage datant du XVIe.
La violence et le sanglant du récit ne sont pas mis en exergue, pour mieux laisser la place aux sentiments, à l’homme, à son ressenti, à ses aspirations et à ses souffrances.
La scénographie de Daniel Lesage faite d’un plateau en pente, d’un tunnel de cordes permet d’imaginer l’espace vital de Lear qui se rétrécit, ses certitudes qui deviennent mouvantes, ses rêves qui s’effondrent.
Pendant toute la première partie, on est comme subjugué, suspendu aux lèvres d’un formidable Jean-Marie Pétiniot, repoussé par ses deux filles à qui il a confié tous ses biens.
Le Roi Lear  - Théâtre Royal du ParcMalheureusement, l’entracte, nullement scéniquement nécessaire, juste avant que Lear ne sombre dans la folie, brise cet élan, cette communion avec les affres d’un père confronté à l’ingratitude, rejeté de partout, qui perd ses repères, dont on ampute les souvenirs.

Inévitablement, la magie ne renaîtra plus.
Toute la portée du volet folie et règlements de compte semblera plus complexe ou plus ardue et échappera ainsi à certains.
Pourtant, elle n’est que le reflet de l’égarement d’une âme dédaignée, négligée, coupée de ses racines, déplantée loin de son terreau familier.
Elle décrit sans concessions les dissensions familiales, les querelles fraternelles, voire fratricides, l’envie de la part de l’autre, l’éternelle insatisfaction qui en étreint plus d’un face aux perspectives d’héritage, seuls moyen désormais pour beaucoup d’espérer améliorer leur situation financière et sociale.
Dommage, car le sublime de l’interprétation d’Yvain Juillard, Edmond le paria et celle de Jean-Marie Pétiniot impressionnant de folie et de lucidité douloureuse risquent ainsi d’échapper à plus d’un.
Côté jeu d’acteur, si aucun ne démérite, il serait injuste d’oublier Philippe Jeusette un Kent impérial, solide roc, fidèle compagnon et Julien Roy (Gloucester) un père aveugle, abusé par un fils cupide, qui ne verra la vérité que dans le noir de la douleur.

Le Roi Lear  - Théâtre Royal du ParcS'il vous plaît, ne vous arrêtez pas à cet entracte, gardez intacte la magie distillée par Lorent Wanson pour apprécier, savourer et déguster un Roi Lear éblouissant de pertinence, de modernité qui recentre tout sur l’essentiel… l’homme, ses souffrances et son aveuglement (souvent volontaire).

Spectacle vu le 22-01-2012
Lieu : Théâtre Royal du Parc

Une critique signée Muriel Hublet

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