Logo
Une société de services
Une société de servicesAprès le consulting scruté et décortiqué dans Grow or Go, et toujours sous la houlette de Françoise Bloch, le Zoo Théâtre s’est trouvé un nouveau martyr des Temps Modernes à dénoncer.
À l’image de Charlie Chaplin, incapable de suivre les cadences folles et avalé par les rouages de la machine, le téléopérateur ou télévendeur est une des victimes de notre société de consommation à outrance.
L’idée de départ émane du jeune comédien Pierrick De Luca, qui pour joindre les deux bouts, a travaillé dans un call-center.
Aujourd’hui, le projet est devenu un spectacle soigneusement documenté et un tableau caustique, mais réaliste de la vie sur un plateau téléphonique.

Tout commence par une litanie de jobs sous-qualifiés, car souvent les call-center font leurs choux gras de ces hommes et femmes fragilisés socialement et à la recherche d’un emploi à tout prix (pour la plupart du temps un salaire minimal et des horaires de travail très modulables).
À l’image de ce personnel multitâche obligé de vendre, de prospecter de faire des enquêtes téléphoniques en respectant un nombre de minutes par appel, un nombre de ventes à l’heure, des temps de pause chronométrés et un texte à débiter dont on ne peut dévier, Françoise Bloch a choisi de fragmenter son spectacle en courtes saynètes frappantes et ciblées.
Les chaises glissent, les tableaux de statistiques et les photos, projetés sur un grand écran (seul élément de décor tangible), défilent insufflant vie, dynamisme et causticité dans ce tableau bien glauque.
Sur scène, Agathe Bouvet, David Daubresse, Pierrick De Luca et Aude Ruyter enchaînent rôles et personnages pour dépeindre de manière audacieuse cette robotisation-lobotomisation fruit d’une dérive de notre société.
Derrière une certaine légèreté, teintée d’humour noir, voulue par la mise en scène, le sujet reste brûlant.
Pipis chronométrés, nombre de tics de langage comptabilisés, chiffres de vente scrutés à la loupe, contenu des appels réécoutés, place de travail aussi proportionnel que celle d’une poule couveuse de batterie, mesure du temps d’appel et de l’intervalle entre deux clients, coaching-lavage de cerveau, obligation de changer de prénom, esprit de compétition exacerbé par un déballage public des résultats de chacun, dépression, surmenage, burn-out et autres pétages de plomb, tout y passe dans un melting pot très proche de la réalité.Une société de services
Pour s’en convaincre, il suffit de tendre l’oreille pour entendre, dans le public, les rires et les réflexions discrètes de spectateurs travaillants ou ayant travaillé dans le secteur.
Pleine d’un humour acerbe et d’un réalisme cru, Une société de services n’invente rien… Hélas

Après avoir découvert ce qui se cache derrière ces appels intempestifs qui vous font râler et qui ne vous donne qu’une envie : agonir d’injures celui (ou celle) qui vient vous déranger pendant votre bain, le match de foot ou encore vous réveille pendant votre sieste, souvenez-vous d’Une société de services, rappelez-vous que ces appels sont enregistrés et plaignez votre pauvre interlocuteur d’être obligé de travailler dans des pareilles conditions, n’hésitez pas à, comme on dit, en remettre une couche.
Ça lui mettra probablement du baume au cœur, mais surtout, espérons-le, cela fera peut-être réfléchir son employeur ou son client donneur d’ordre.

Spectacle vu le 14-10-2011
Lieu : Théâtre Les Tanneurs

Une critique signée Muriel Hublet

Imprimer cette page
Enregistrer cette page sous format PDF