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La fille dans le bocal à poisson rouge
La fille dans le bocal à poisson rouge Avec La fille dans le bocal à poisson rouge, Georges Lini nous a, à nouveau, dégoté une perle québécoise.
Portrait d’une famille bancale, d’une gamine qui va voir exploser tous ses ancrages et se refermer brutalement la porte de l’enfance, la pièce sort des sentiers battus, non par son propos, mais par la manière rafraîchissante, poétique et humoristique de l’aborder.

Dans un petit village canadien, lui vit de ses maigres rentes et rêve lignes, plans et angles droits.
Elle, frustrée, a fait un mariage pis-aller et rêve d’un prince charmant.
La maison familiale fait aussi office de pension de famille et abrite Mademoiselle Rose, une vieille nymphomane alcoolique.
Chacun est comme un poisson dans son bocal.
Il tourne en rond dans son univers étroit et a une vision très déformée des autres.
Entre ces trois adultes, Iris, onze ans, est comme un chien fou qui court de l’un à l’autre, qui jappe, mordille et aboie dans l’espoir d’un regard à défaut de caresses qui se font si rares et qu’elle n’espère plus guère.
La mort de son poisson rouge Alakermaisse et l’irruption de l’étrange Mr Lawrence vont irrémédiablement changer le cours de sa vie.
Morris Panych nous livre des dialogues très particuliers.
Le langage clair et direct, voire quasi logorrhéique, d’Iris se mâtine de ses rêves enfantins et ses perceptions de précoce fillette pour nous offrir de savoureuses réparties et truculentes réflexions.
Paradoxalement, les autres protagonistes peuvent se comparer à nouveau à des poissons, beaucoup de mouvements de bouches et beaucoup de silence.
Leurs mots sont hachés. 
Leurs phrases suivent le cheminement erratique et très coq à l’âne de leurs pensées.
Pudiques à l'extrême, ils ébauchent un aveu de sentiment pour, directement, comme pour tenter de retenir, de ravaler cette confidence échappée,  dévier la conversation de manière abrupte et souvent absurde par son manque d’à-propos.
La mise en scène de Georges Lini y ajoute gestes avortés, regards éperdus et tous ces petits riens (drôlement bien imaginés) qui nous font percevoir fêlures et désarrois, mais qui sont paradoxalement cocasses.
On ne peut qu’applaudir son sens de la mesure.
Il maintient de bout en bout le spectacle sur le fil du rasoir.
Jamais on ne bascule ni dans l’émotion poignante, ni dans l’humour pur.La fille dans le bocal à poisson rouge
Au contraire, on reste dans une légèreté (de surface) qui fait sourire tout en laissant transparaître la détresse provoquée par l’incapacité à communiquer et à aimer.
L’équilibre, on le retrouve dans sa direction d’acteurs qui donne à chacun son rôle, sa place et son caractère bien typé.
John Dobrynine, en talons hauts et déshabillé affriolant est une Mademoiselle Rose impayable et attendrissante tant on perçoit sa solitude et son besoin d’être aimée.
Mr Lawrence, qu’Iris a trouvé trempé, errant au bord de la mer et qu’elle prend pour la réincarnation d’Alakermaisse, est un homme sans passé, probablement amnésique.  L’interprétation de Nicolas Ossowski  avec ses hésitations, ses yeux ronds et sa bouche ouverte fait merveille.  On aurait presque envie de plonger dans l’eau salvatrice cet animal si délicieusement hors de son bocal.

Marc De Roy, le père et France Bastoen, la mère, sont joliment complexés et timorés.
Incapables de se parler (et de se comprendre) ils ne sont que retenues et pudeurs.
Lui pour cacher sa peur de voir partir sa femme et elle pour taire son irrépressible envie de fuir le domicile conjugal.
Impressionnante, Wendy Piette incarne magnifiquement Iris.
L’enfant joyeuse et remuante, la petite narratrice, la gamine volubile et toute la souffrance d’une enfance qui fout le camp dans une famille déglinguée se retrouve dans l’interprétation de la jeune comédienne.

Ce délicat moment hors du temps est à voir de toute urgence, et vous fera, comme nous, croiser les doigts pour que Georges Lini continue longtemps à découvrir de tels petits bijoux théâtraux.

Spectacle vu le 18-09-2011
Lieu : Théâtre du Méridien - Salle Nord

Une critique signée Muriel Hublet

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