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Le Non de Klara
Un coup de poing en plein cœur
Le Non de KlaraC’est l’impression éprouvée par les spectateurs qui sortent comme groggy du théâtre.
Silencieux, époustouflés, interrogatifs, ils cherchent dans le regard du voisin une émotion identique, ressentent un besoin de partager, de comparer, de voir si tous ont perçu la même souffrance, la même détresse.

Le non de Klara est un journal fictif, relatant le destin d’une rescapée d'Auschwitz, rentrée à Paris en 1945.
Soazig Aaron, l’auteur, née en 1949, n’a donc pas connu la guerre.
Elle parle pourtant des victimes de la déportation et des camps avec tant d’acuité, de profondeur qu’on ne peut que se poser des questions.
Ce livre, paru en 2002, est-il le fruit d’une série de témoignages récoltés auprès des derniers survivants de l’Holocauste ?
Quelle que soit la réponse, finalement peu importe.
Une chose est certaine, son roman dénonce l’ignominie et l’horreur.
Sans épiloguer sur le thème cent fois rabâché et controversé du droit à la mémoire, le texte de Soazig Aaron a la force brute d’un témoignage et n’est qu’émotions et sensations.

Huis clos entre deux femmes, Le non de Klara, s’étale sur les quelque trois mois qui ont suivi le retour de cette dernière en France.
Sa narratrice, Angelika (Isabelle Paternotte) a tenu un journal.  Elle y a noté ses impressions, ses doutes, sa tristesse face à son incompréhension à comprendre son amie Klara (Anaël Snoek).  Cette dernière ne s’exprime que par bribes, livrant peu à peu des éléments sur les conditions de détention. Elle débite des phrases froides, détachées, déshumanisées, en accusations monocordes lancées à la face du monde.

Pendant une heure trente, tout ne sera que jeux de contrastes.
Le premier sera visuel : la pétillante jeune femme pimpante dans sa robe blanche et rouge, soigneusement coiffée et le corps squelettique, le visage hâve et blafard, les cheveux quasi tondus et les yeux hagards et exorbités de Klara.
La plupart des autres seront verbaux et vont opposer deux visions, la vie, la mort et la survie, l’espoir et le désespoir.

Impossible de tout résumer, de tout dire sans en trop révéler ou risquer de mal choisir ses mots, d’être trop subjective, de se laisser encore une fois submerger par le flot de l’émotion.
Une fois n’est pas coutume, nous vous proposerons quelques phrases extraites du spectacle et qui vous seront beaucoup plus parlantes sur la qualité et la force du texte que tout ce qui pourrait encore être écrit.
Le Non de Klara
Le désarroi et la confusion ressentis, cet uppercut en plein cœur n’auraient probablement pas eu totalement le même impact sans le travail de toute une équipe.
Patricia Houyoux qui, pour assurer une telle mise en scène, s’est plongée pendant des mois dans les écrits historiques et autres témoignages de l’époque et qui nous restitue ici une ambiance, nous enferme avec Angelika et Klara dans un no man’s land de sensations et de douleurs.
Habilement, la scénographie de Chloé De Wolf et Joël Larouche nous évite les images classiques de l’horreur, mais nous propose un imaginaire que chacun modulera selon ses perceptions : une forêt de troncs de bouleau qui devient corps, mausolées, barreaux, murs, prisons, barbelés au gré du récit et de l’imagination de chacun et d’un sol jonché de pans de gravas.
On ne peut également que souligner le travail de Nathalie Borlée qui créée une véritable ambiance de lumières, qui accompagne chaque scène d’un éclairage adéquat, sobre ou discret, intimiste pou violent.
Les deux comédiennes méritent, elles aussi, un fameux coup de chapeau.
Isabelle Paternotte (Angelika) toute en fraîcheur et en nuances, qui est la vie et l’espoir et qui se retrouve confrontée à l’abomination.
Anaël Snoek qui s’est glissée physiquement et en esprit dans ce corps déchiré mort à l’intérieur, dans cet esprit torturé, qui de bout en bout garde l’accent allemand de cette juive qui refuse de parler sa langue maternelle, celle de ses bourreaux, qui décrit l’horreur, l’abjection avec les yeux secs de toute larme, avec le détachement d’une âme vidée de toute substance, de toute capacité à ressentir.


Ce spectacle porte un regard douloureux sur la Shoah et ses victimes.
Bouleversant, fort, prenant, dur Le non de Klara est à voir absolument.
S'il dénonce les faits, il est aussi l’évocation des souffrances d’une femme, sa prise de conscience poignante et murement réfléchie.
Par instants, on peut se sentir déborder par cette dernière et par peut-être l’impression de phrases trop bien construites, d’un raisonnement trop achevé, trop construit.
Mais ce n’est que fugace tant l’ensemble sans être oppressant, interpelle et bouleverse.
Le non de Klara est un véritable coup de poing en plein cœur. 

A l'intérieur je ne suis que mort, j'ai un goût de mort, je pue la mort, pour longtemps encore, peut-être pour toujours. Les enfants le sentent. Je ne veux pas qu'elle renifle cette odeur qu'elle n'a pas encore eu dans le nez.


C'était [Auschwitz] un endroit pour les saints et pour les bêtes.
 Certains sont devenus des saints.
Ils sont tous morts.
Je ne jurerais de personne, mais peut-être... nous avons été tous des saints.
Alors, nous sommes tous morts.



Je ne veux plus souffrir de cette étrange souffrance qui consiste à souffrir de voir souffrir les autres.

Spectacle vu le 14-08-2010
Lieu : Festival Royal de Spa (Salon Gris)

Une critique signée Muriel Hublet

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