Logo
Shakespeare is dead, get over it
Le laboureur, Shakespeare et le magicien
Shakespeare is dead, get over it - Théâtre NationalShakespeare est mort.
Nous l’avons tous appris à l’école.
Mais, saviez-vous, c’est à cause d’un daim que l’illustrissime maître du classicisme anglais a connu la célébrité.  Un pauvre animal qu’il a tué sur les terres du seigneur de Stratford-Upon-Avon.
À cette époque, ce délit de braconnage était sévèrement puni.
Pour éviter ce juste courroux, Shakespeare se serait lâchement enfui à Londres.  Il y trouvera un emploi de gardien de chevaux … devant un théâtre. 
De fil en aiguille, il deviendra comédien avant d’atteindre le statut d’auteur à la notoriété mondiale, encore d’actualité, plus de cinq ans plus tard.
C’est en tout cas, ce que prétend une légende et surtout ce qui sert de point de départ à Paul Pourveur pour Shakespeare is dead, get over it.
Dans un joyeux désordre foutraque (pourtant tout apparent), il va évoquer une série de destins influencés ou non par les shakespeariennes théories humanistes que notre écrivain belge considère comme d’étouffants freins à l’évolution de la société.

Shakespeare is dead, get over it - Théâtre NationalWilliam est un altermondialiste convaincu et Anna (prénom de l’illustre épouse) une comédienne spécialisée dans les œuvres du XVIe.
Un amour aussi hétéroclite, unissant de tels extrêmes a-t-il un avenir ?
Tout les oppose, sauf peut-être le besoin d’être aimé et de se trouver le compagnon de la dernière chance, juste pour ne pas entreprendre seul(e), et sans enfant, le chemin qui mène de la quarantaine à la rapide décrépitude.
Dans ce récit quelque peu chaotique, chronologique et anecdotique s’entremêlent dans une joyeuse confusion.

Paul Pourveur se veut laboureur de l’esprit.
Tout agriculteur vous dira que pour fertiliser un champ, il faut plus d’une fois y passer le soc avant de tenter d’y planter une graine.
L’écrivain philosophe fait de même.
Sa charrue trace et retrace des sillons, occasionnellement rectilignes mais le plus souvent tortueux.
Ainsi, à chaque répétition de scène, il creuse plus profondément dans la personnalité des personnages et dans la portée philosophique de son propos.
Il réfute la théorie de l’éternel recommencement.
Il opte pour la perpétuelle mutation ; représentée ici dans une incessante reformulation (hélas parfois lassante).

Shakespeare is dead, get over it - Théâtre NationalDéroutant donc, le spectacle s’apparente à un gigantesque puzzle, dont les pièces nous parviennent brutes ou inabouties.  C’est au public de créer, de compléter, d’esquisser l’image centrale, de tenter de en place ces multiples éléments troublants.
A chacun de tourner, de retourner, de triturer ce flot d’idées pour trouver son propre emboîtement intellectuel.
Simple et complexe, ambigu et limpide, insaisissable et drôlement perceptible, Shakespeare is dead, get over it est un tout qui se décline sur plusieurs niveaux de perception.
Émotion, humour, kitsch, vérités, contrevérités, satire, malice et dérision se donnent la main dans une sarabande insolite, débridée, endiablée.

Philippe Sireuil, en maître à danser de génie, insuffle panache, précision, magie et parsème ainsi d’un agréable petit vent léger de folie un texte qui sinon risquerait bien de nous faire friser l’indigestion.
Sa direction attentive est partout. 
Lumières, musiques, scénographie, costumes bouffons (signés Catherine Somers), voix déformées, sons diffractés,  tout est soigneusement calibré, étudié, réglé, minuté pour souligner, accentuer ou amplifier les scènes.
Pour tout décor, un panneau de contreplaqué, avec une peinture de Shakespeare en surimpression.
Simplissime à première vue, il recèle pourtant quatre yeux (écrans) qui de temps en temps s’ouvriront pour laisser entrapparaître des reflets d’âme ou des instantanés d’actualité.
La paroi deviendra également un miroir aux multiples visages (Richard III, Marilyn Monroe, Jean-Luc Godard, Brigitte Bardot, …) ou vues (chambre, gare, auberge, flammes, …).
Quatre portes à sa base permettront aux quatre comédiens d’aller et venir au rythme des nombreux tableaux (la pièce dure 2 heures).
Sous la férule de Philippe Sireuil, Marie Lecomte est la piquante Anna, Vincent Minne interprète agréablement un William paumé entre son idéologie et ses besoins physiques.  Olivia Carrère et Yvain Juillard sont tout à la fois les drolatiques narrateurs et l’écho persifleur de la conscience de chacun des deux amoureux tourneboulés.Shakespeare is dead, get over it - Théâtre National

Shakespeare is dead, get over it conjugue les antagonismes, à l’image des petits mots rouges qui clignotent et ponctuent chaque scène.
Voir, revoir et devoir, tout comme lire, relire et délire se déclinent en une retorse réalité qui hésite entre drame et comédie.
Mystifier et démythiser font front face à construire et remédier dans un spectacle ironiquement incisif, perturbant, réfléchi et bourré de clins d’œil burlesques.
Vivez proprement, pensez au suivant en est le judicieux leitmotiv moral.
Philippe Sireuil et son équipe se sont eux concentrés de manière attentive sur le public.
Ils réussissent le challenge de faire d’un texte, qui sinon risquerait de friser l’indigestion, un petit bijou théâtral.
Dommage toutefois que ce soin, cet humour et cette magie ne suffisent à estomper certaines longueurs du manuscrit de Paul Pourveur.

Spectacle vu le 03-10-2008
Lieu : Théâtre National - Grande Salle

Une critique signée Muriel Hublet

Imprimer cette page
Enregistrer cette page sous format PDF