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Les Revenants
Bonheur ou devoir… Quel en est le prix ?!
Derrière cette douloureuse question cornélienne se cache un drame familial aux résonances quasi antiques.
Le sempiternel conflit entre père et fils, la transmission héréditaire, la malédiction qui se répand de génération en génération, la mère possessive en sont la substantifique mœlle.
Le poids du passé est tel qu’il fige tout et tous dans une sorte de brouillard glauque et glacé (remarquables jeux de lumière de Vincent Pinckaers).
Les choix de mise en scène d’Elvire Brison sont à l’image de l’ambiance voulue par Ibsen : froide, glaciale, épurée.
Seul le jeu impeccable et plein de fougue des acteurs distillera vie et chaleur dans cet univers pétrifié par le renoncement à l’amour, l’obéissance à la morale bourgeoise et à la bienséance.
Fait de gradins, avec pour unique variation une toile de fond à la lumière fluctuante, le décor (signé Philippe Hekkers) amplifie l’ambiguïté des situations et ses sentiments en créant visuellement des positions de dominés et de dominants.

Les revenants sont ces fantômes que chacun a profondément enfouis au fond de lui ; ces secrets, ces non-dits, ces retenues, ces douleurs qui taraudent l’âme et forment ou déforment les caractères.
Le retour à la maison du fils prodigue sera le détonateur qui va faire exploser cette apparente confortable et rassurante sérénité.
Avant de voler clairement en éclats dans une remise en question douloureuse et ravageuse, elle commencera par montrer lézardes et fissures.
Hélène Alving (superbe Stéphane Excoffier) s’est laissée enfermé dans une existence de mensonges et de compromissions juste pour sauver les apparences.
Épouse et mère, en apparence sans reproches, elle est comme un funambule en équilibre sur les parois fragiles d’un volcan en éruption.
Le pasteur Manders (Idwig Stephane) est le stéréotype (par instants amusant et presque caricatural) de l’hypocrisie cléricale qui préfère les naïves illusions à aux réalités parfois bien abjectes de la vie.
Engstrand (excellent John Dobrynine) est un menuisier alcoolique, margoulin et père adoptif de Régine.
Manipulateur hors pair, il glisserait bien la jeune fille dans son lit en plus de rêver d’ouvrir, avec l’argent des autres, une taverne sur le port.
Régine (une Erika Sainte à la clarté rayonnante), servante et fille bâtarde de feu le capitaine Alving est la seule à être épargnée par la valse infernale des spectres du passé.
Oswald (lumineux Itsik Elbaz) surprotégé par sa mère, a été envoyé loin des turpitudes paternelles, mais il en porte les conséquences.
Sa jeunesse n’est plus qu’une illusion tuée par la maladie.
Tout à la fois lucide et hésitant, il titube comme hébété par la mort toute proche, mais avec en lui la force de choisir sa libération.
Complexe, le texte d’Ibsen est à écouter avec le cœur.
Discrètement et très intelligemment, Elvire Brison lui laisse toute la place.
Le spectateur attentif est ainsi entraîné dans un tsunami de révélations qui révélera les silences solidement enfouis.
Le présent en sera expliqué et chacun percevra au mieux le poids du mensonge et celui de la vérité.
Un message toujours actuel aujourd’hui.
Car comme dit pertinemment le Pasteur Manders :

Quel droit avons-nous au bonheur ?

Spectacle vu le 18-11-2008
Lieu : Théâtre des Martyrs - Atelier

Une critique signée Muriel Hublet

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