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A un jet de pierre de Pristina
A un jet de pierre de Pristina Emotion et émotivité sont les maîtres mots de cette pièce de théâtre doublement signée Philippe Beheydt.
Il cumule, brillamment, trois casquettes : auteur, metteur en scène et conception du décor.
Ce jeune belge, installé à Paris, s’est rendu au Kosovo.
Il a entendu les descriptions d’horreur, il a vu des familles décimées, déchirées, détruites.
Il en a fait un texte fort, qui résume toutes ces bribes de vie en un récit poignant.
Sans prononcer un nom de famille, évoquer une race ou une religion il se fait porte-parole d’un drame quasi universel.
Sans choquer, sans guère donner l’impression d’interpeller, il nous raconte une histoire, celle d’une famille, cloîtrée dans le noir et dans la peur.

Celle d’un père ( très juste Bernard Graczyk) qui doute, qui doit avouer ses failles, qui voit son univers patiemment construit pierre après pierre, prix d’une longue vie de labeur s’effondrer autour de lui.A un jet de pierre de Pristina
Celle d’une mère (superbe Nicole Valberg), souriante, douce et intuitive, véritable pilier de la famille qui soutient tout son petit monde, qui ne pense qu’au bonheur de tous et de chacun, confidente de tous les secrets.  Pourtant, elle cache ses peurs derrière son sourire calme.  Elle tente de rassurer les uns et les autres, de minimiser les dramatiques conséquences de cet enfermement, d’insuffler à tous courage et volonté.
Celle de Milosh (Laurent Bonnet), jeune homme qui a connu la guerre, qui veut espérer une aide extérieure, qui ne se sent plus la force de combattre.  Il est très amoureux de sa jeune épouse Lenka (émouvante et vibrante Juliette Croizat).
Leur union est pourtant très fragile.  Entre eux plane le poids invisible, mais très lourd d’un viol.  La jeune femme est désormais renfermée dans un monde presque désertique, murée dans sa souffrance, elle est quasi inaccessible.
Celle encore de Slobodan (Emmanuel De Candido), le cadet, jeune homme plein d’ardeur et de fougue, qui veut se battre, lutter contre ce voisin, ancien ami, recueilli et aidé jadis et qui aujourd’hui prend les armes contre ses sauveurs d’hier.
Il porte en lui un douloureux secret qui le mine et le détruit de l’intérieur et le pousse aux pires extrémités. 

Derrière ce drame familial, Philippe Beheydt parle de l’incompréhension que ressentent les victimes, du sentiment d’injustice, de solitude, de l’impression d’être abandonné de tous, des vains espoirs fondés dans l’ONU et l’aide extérieure.  Il décrit la faim, le froid, le marché noir, les rumeurs, la résistance, les représailles, les sévices, la haine, les snippers.

Sa mise en scène sobre et épurée met l’homme au premier plan.
C’est l’émotion, la peur, la souffrance, la rage, la violence, la détresse, la haine, la révoltA un jet de pierre de Pristina e qui rôdent tels des spectres silencieux, qui enveloppent les cinq acteurs et le public, qui étreignent les gorges des spectateurs.
Sur ces planches de bois brut, quelques objets tout simples sont glissés selon les besoins, chaise presque bancale, table usée ou malle poussiéreuse seront les seuls éléments de décor pour faire vivre à cette famille, emblème de bien d’autres, 1h50 de plongée dans l’horreur.
Il est pour cela bien épaulé par les éclairages d’Alain Collet, qui souligneront, donneront le relief ou rendront comme fluide les émotions de chacun.

Philippe Beheydt réussit à faire, grâce à son jeu d’acteur finement intelligent et à la collaboration précieuse de ses cinq comédiens, de chaque instant, de chaque phrase un moment précieux de rare intensité.
Le résultat est particulièrement bouleversant.
Le malheur, la douleur, le chagrin, la honte, l’hésitation, chaque sentiment se lit sur leurs visages, est comme inscrit au fer rouge dans un regard ou dans un geste.

Dure, d’une violence contenue, mais perceptible en permanence, A un jet de pierre de Pristina est le portrait sans concessions d’un drame humain.
Sans jamais tomber dans le pathos, la pièce nous enveloppe, nous transporte, nous fait oublier le lieu et l’heure.

A un jet de pierre de Pristina Quand s’éteignent les projecteurs, quand s’effacent les acteurs, le silence reste pesant dans la salle encore plongée dans le noir.  C’est à mes yeux le plus beau compliment offert à l’auteur et à la très belle prestation des comédiens.  Ils nous ont séduits, emportés dans leurs drames et ils y ont tellement bien réussi que l’on reste comme étonné, groggy de se retrouver dans notre quotidien, à des lieues de Pristina.

Spectacle vu le 17-09-2007
Lieu : Théâtre du Méridien - Salle Nord

Une critique signée Muriel Hublet

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