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Lorenzaccio
Etre ou ne pas être … le dilemme à la française
LorenzaccioAlfred de Musset a écrit en 1834 une sorte de monstre littéraire et théâtral en cinq actes.
Le jouer intégralement nécessiterait près de trente-six scènes, une soixantaine de décors, plus de cent interprètes.  Il n’a jamais été présenté que dans des adaptations d’une moyenne de cinq heures.
Daniel Scahaise nous en propose donc sa vision, une version expurgée et raccourcie à trois heures.
Malgré tout le soin apporté à cette refonte, on éprouvera de-ci de-là quelques impressions de longueur.  Mais les spectateurs d’aujourd’hui n’ont plus la capacité (ni la patience) de ceux d’antan qui pouvaient assister debout et des heures à de longues tragédies classiques.
Tout aussi inévitablement, dès qu’il faut couper dans un texte, pour en extraire un essentiel, une interprétation personnelle, l’équilibre de l’œuvre s’en ressent et certains personnages risquent ainsi de devenir fadasses ou comme inconsistants.
Ces inévitables défauts se retrouvent donc dans le Lorenzaccio de Daniel Scahaise.
Mais une fois cette parenthèse critique refermée, ouvrons celle des points saillants et méritoires.
Le premier, et non le moindre, est le choix d’Emmanuel Dekoninck pour le rôle phare.
Désemparé, irrésolu, comme fou, il surfe sur le fil du rasoir entre raison et folie, entre vice et vertu.
Lucide sur lui-même et sur les hommes, il n’a plus de vie, plus de repos, plus de place, il n’est plus rien.
Hésitant, titubant, éructant, gémissant, à genoux ou poings levés, pleutre ou matamore, voix de stentor ou de fausset,  Emmanuel Dekoninck joue magistralement tous les registres de l’ambiguïté et ne faiblit à aucun moment, même dans les très longues tirades.
Face à lui, Bernard Marbaix (Philippe Strozzi) est tout aussi superbe dans la retenue et la douleur.Lorenzaccio
Derrière ce duo de grande qualité, il faut encore épingler Stéphane Ledune (le Cardinal Cibo) dégoulinant d’onctueux cynisme et Hélène Theunissen (la marquise de Cibo) en ambiguë femme perdue.
Les autres comédiens et figurants (soit 26 au total) s’ils ne déméritent en rien, semblent manquer de consistance ou de présence et paraissent in fine comme la cause de longueurs, là où pourtant ils ont un réel et nécessaire rôle explicatif pour la perception de la psychologie de Lorenzaccio.  Mais cela ne peut en rien leur être imputé, c’est simplement la version de la pièce qui crée cette impression.

Daniel Scahaise signe aussi une scénographie simplissime en apparence et néanmoins séduisante.
Ingénieuse et fonctionnelle, faite de panneaux coulissants elle vous transporte en un instant de l’intérieur d’une maison, aux ruelles de Florence, des jardins fleuris aux obscures alcôves.
S’il y manque le chaud soleil de la ville florentine, ce choix visuel très sombre sied parfaitement à l’ambiante noirceur.  Cette option se prolonge dans les couleurs costumes. Lorenzaccio
Anne Compère a opté pour le noir et le cuir, tant pour souligner l’atmosphère glauque que le côté dissolu des mœurs de cette cour florentine décidément très pervertie.
Derrière cette dureté apparente, on appréciera pourtant la douceur et les ocres des jeux de lumière et des toiles de fond.

Classique théâtral, Lorenzaccio apparaît ici très contemporain, très en harmonie avec certains de nos dilemmes. 
Ceux d’une personnalité qui se cherche une identité, perdue dans un labyrinthe existentiel tourmenté par une société en perte de repères.
Derrière les mots de Musset, le ton se révèle très actuel tout en signant cependant la fin et l’éternel recommencement d’une époque en perpétuelle révolution.

Spectacle vu le 24-09-2008
Lieu : Théâtre des Martyrs - Atelier

Une critique signée Muriel Hublet

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