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La mouette
La Mouette - Théâtre de la Flûte EnchantéeUn sol jonché de feuilles, quatre bancs en bois, quelques torchères pour éclairer une nuit d’été, voilà la première vision de La Mouette présentée par le Théâtre de la Flûte Enchantée.
Le drame s’amorce par la représentation d’une pièce écrite par Kostia, fils d’une actrice célèbre.
Il propose un spectacle très moderne dans une époque où formes et rigueur sont encore la règle.
Est-ce une sorte de réaction contre sa mère et son jeune amant écrivain à la mode ou le besoin d’être et d’exister par lui-même, de s’exprimer, même différemment ?
Dans son aveuglement et son prétention artistique, il ignore Macha (une Céline Robaert superbement criante de vérité), éperdument amoureuse de lui.

Si les premières minutes peuvent sembler longuettes (avant de saisir précisément le fil du récit, comme pour chaque histoire complexe, servie par beaucoup de personnages), la précision attentive et la vision du metteur en scène Bernard Damien compenseront très vite ce petit inconvénient.La Mouette - Théâtre de la Flûte Enchantée
Dans une scénographie, en apparence simple, mais diantrement bien adaptée, chaque élément de décor, chaque geste, chaque regard, chaque jeu de lumière, tout a été pensé pour créer le tempo, le climat et souligner, suivre ou accentuer les différents points de l’action.
Aucun hasard, un travail soigné où chaque détail a été étudié, examiné et probablement méticuleusement peaufiné pour produire un sentiment de proximité, de réalisme, d’humanité dans une représentation qui oscille entre fin d’une époque, prise de conscience et prémices d’une révolution d’idées.

En signant également l’adaptation, Bernard Damien nous offre sa vision du drame d’Anton Tchekhov.
Personne n’est un second rôle, chacun a sa personnalité, ses problèmes et apporte sa petite touche à un ensemble soigneusement construit par l’auteur russe et précisé ici dans un point de vue parfois très différent de certaines autres interprétations du texte que l’impression de (re)découvrir les personnages, de les percevoir plus profonds, plus mûrs, plus réfléchis, à multiples facettes, comme plus … humains.

Derrière la romance et la désespérance, cette version fait transparaître, en filigrane bien perceptible, l’opposition entre le comportement de l’écrivain reconnu (Trigorine – impeccable Laurent Renard) qui se dévalorise face aux références littéraires en vogue et celui de Kostia Treplev, écrivaillon encore quasi méconnu qui quémande un peu de reconnaissance maternelle (Frédéric Genovese, flamme vibrante et vacillante joue l’artiste incompris, au regard idéalement exalté).La Mouette - Théâtre de la Flûte Enchantée
Cette adaptation fait de Nina une femme-enfant, amoureuse de la liberté et du rêve que lui laisse espérer Kostia. 
Versatile, elle sera attirée par le miroir aux alouettes que représente la notoriété de Trigorine aux yeux d’une naïve provinciale.
La profondeur avec laquelle est dressé le portrait de ce dernier, un homme complexe, tout à la fois clairvoyant sur lui-même et sur les limites de son art ; conscient de l’adulation des foules, mais veule et manipulable, permet d’appréhender tout l’attrait de ce nouvel amoureux et la facilité avec laquelle la petite mouette lui a cédé.
Cette version, deux ans plus tard,  transformera Nina d’enfant évaporée, fragile et versatile, en une femme mûrie, blessée et profondément lucide. Fanny Jandrain, éthérée et lumineuse dans la première partie de son rôle, n’a peut-être pas encore la maturité nécessaire pour aborder la seconde, mais semble prometteuse.
Arkadina (Jacqueline Préseau, tragédienne à souhait dans ce rôle de grande comédienne fermée au monde réel) est une mère très égoïste, imbue d’elle-même, ses seules faiblesses paraissent être son besoin d’être aimée, adulée, admirée et son affection pour son frère Sorine (Christian Ferauge).
Ce vieillard bougon se transforme ici en oncle très soucieux des dilemmes et souffrances de son neveu, tout en grommelant contre les dérives de son époque.  Dans la même veine, Paulina (Chantal Pirotte) devient une femme amoureuse, frustrée et malheureuse plus qu’une potiche de figuration. La Mouette - Théâtre de la Flûte Enchantée

Derrière le portrait dramatique d’une fin de cycle, de l’affrontement de deux générations, de points de vue divergents sur le théâtre et sur l’art en général, Bernard Damien, dans sa conception de l’œuvre du dramaturge soviétique, nous permet de percevoir l’homme et la force des sentiments.
L’envolée romantique et passionnelle des caractères russes si exacerbés prend ici une dimension humaine palpable et agréablement démesurée à la fois.
Cette Mouette est donc une version différente, une pièce aux multiples facettes à découvrir dans sa vision humaniste, sans se laisser rebuter par le fait qu’il s’agit d’un drame classique.
Dommage de la présenter en juillet, car à coup sûr, elle aurait été bien perçue par un public scolaire trop souvent rétif à découvrir certains textes académiques.

Spectacle vu le 27-06-2008
Lieu : Théâtre de la Flûte Enchantée

Une critique signée Muriel Hublet

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