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Six Personnages en quête d’auteur
Le Théâtre des Martyrs revisite Pirandello.
L’auteur italien avait remis à son époque (1921) le théâtre en question.
Il l’avait sacrément désacralisé en opposant lors de répétitions des acteurs de chair et de sang et des personnages en quête d’auteur.
Nous assistons à une répétition, sur un plateau vide, avec ses acteurs très typés, la diva, l’ingénue, le vieux beau, le jeune premier, le metteur en scène stressé, …
Tout se déroule selon un schéma que l’on peut considérer comme convenu quand surgissent des ombres noires.
Six personnages, six personnalités inachevées, six souffrances esquissées par un auteur et aussi vite abandonnées, six êtres en quête d’existence…
Ils vont supplier que l’on interprète leur histoire, qu’on les sorte des limbes, qu’on leur donne enfin vie !
Ils offrent ainsi à Pirandello l’occasion de croquer deux univers, celui de la réalité et celui de l’illusion.
Pendant une heure quarante, il titille nos neurones à coups d’impression, de réalité, tentant de faire la part des choses entre jeu sur scène et vie au dehors.
Il oppose avec brio les contingences réalistes de la création théâtrale avec l’importance d’être aussi le reflet de sentiments forts, le respect d’un récit, d’un lieu, d’un accessoire, d’un personnage de plus, …
Il remet ainsi les pendules à l’heure en rendant au théâtre ses dimensions et ses limites.
A l’heure où l’on parle régulièrement de budgets et de subsides, il n’est pas vain de rappeler que le théâtre est aussi une question de moyens.
Difficile de changer de décor trop souvent ou d’utiliser beaucoup de comédiens, tout est limité dans l’espace scénique et … financier.

Daniel Scahaise réussit une mise en scène sobre en apparence.
Le plateau noir et vide, quelques cintres, un portique à vêtements, une table de maquillage, d’anciens éléments de décors pour accessoires, il entretient une illusion … très réaliste.
Il a même installé la table technique au pied de la scène et ne lésine pas sur les effets de lumières ou sonores pour habiller ses six personnages.

On déguste avec plaisir cette joute oratoire entre un père usé, miné par son vécu et plutôt roublard (un rôle qui va comme un gant à Jaoued Deggouj) et un metteur en scène passablement nerveux, échevelé à force de se passer la main dans les cheveux, (Jean-Henri Compère) qui sent la bonne aubaine, qui veut cette histoire, mais tente de la recadrer sur un espace scénique tangible et jouable là où les personnages veulent qu’elle se joue au plus près de la vérité, avec force et fracas pour pouvoir faire percevoir leur réalité, leur drame intime.
On sera séduit par le jeu de Dolorès Delahaut, provocante, la jeune victime, tout à la fois fille et prostituée, hurle sa rage et son envie de vengeance.
Elle s’oppose aussi avec force à la fadeur condescendante avec laquelle on veut la représenter.
C’est dans ces différentes oppositions entre hommes et acteurs, entre souffrance et suffisance caricaturale que se trouvent tout le sel et l’humour de Six personnages en quête d’auteur.

Une jolie réussite de Daniel Scahaise qui grâce aux mots de Pirandello, nous donne une vision différente du théâtre.
Une occasion pour le spectateur bien assis dans son fauteuil rouge de remettre en question un univers dont trop souvent on ne connaît que le soyeux des rideaux rouges, la chaleur des spots et dont il ignore, hélas souvent, les besoins, les souffrances et les contingences une fois que les applaudissements se sont tus et les projecteurs éteints.

Spectacle vu le 02-02-2008
Lieu : Théâtre des Martyrs - Atelier

Une critique signée Muriel Hublet

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