Logo
Emma
De la joie d’être une peluche dans les bras d’Emma
Julie Duroisin signe dans Emma son premier seul en scène.
Elle y défend avec beaucoup de talent un texte de Dominique Bréda, son beau-frère.

Tout commence sur l’escalier de La Samaritaine, quand un drôle de bébé descend péniblement les escaliers, un PinPin aux longues oreilles dans les bras.
Emma a un an et demi, un pull gris et une couche rouge.
Cette gosse, comme tous ceux de son âge, possède une faculté inouïe et méconnue, l’intelligence innée.
Elle peut disserter Flaubert, Racine, s’interroger sur la position de Pluton, aligner les formules chimiques, mais hélas, elle ne sait pas parler et sait juste aligner les arreuhh ageuh traditionnels.
Colère donc de l’enfant incomprise qui rejette le monde des adultes qu’elle considère comme débile.

Petit tour dans l’escalier et Emma grandit, sa couche devient pantalon rouge, son pull lui tombe jusque sous les doigts, ses cheveux dénoués s’ébouriffent, elle a 17 ans.
Rebelle, la gamine ne veut pas se plier aux règles.
Pas question de lire un auteur mort, pas question d’ouvrir Madame Bovary.  Elle est de son temps, elle a des problèmes bien actuels, pourquoi la bassiner avec ceux du passé.
Rage donc de l’adolescente frustrée et … incomprise.

Du haut de l’escalier descend une femme de 45 ans, cheveux dans un chignon rigide, à moitié ivre de boisson, de rage et de chagrin.
Son mari l’a quitté pour une autre.
Son seul refuge face à cette solitude niée et naturellement mal vécue est  l’alcool, les délires et les prises de conscience qu’il provoque.
Dans l’ennui, elle va se plonger dans ce fameux Madame Bovary pour  y découvrir une lecture toute de miel et de guimauve qui va faire grandir sa colère envers le monde entier, envers les mensonges et autres vaines promesses faites aux enfants pour leur dorer la pilule sur une vie idyllique qu’ils n’auront jamais.

L’apparition d’une chaise et accompagnée par le bruit lancinant d’un monitoring fait surgir  Emma dans ses derniers moments.
Diaphane, calme, elle tire des conclusions pertinentes dans un ensemble d’hallucinations qui lui permettront de régler ses comptes avec tous et avec elle-même.

Julie Duroisin signe une véritable performance, elle passe d’un rôle à l’autre sans à coup, avec un naturel confondant. Elle ne joue pas, elle est.   Son visage se tend, se détend, se rajeunit, se flétrit, sa voix devient fluette ou rageuse en l’espace d’un instant, c’est stupéfiant.
Elle tient son public en haleine des yeux, de la voix par une présence presque féerique que renforce ce petit lieu intimiste et la qualité des jeux de lumière.
Dominique Bréda lui a écrit un texte qui navigue très justement entre humour et émotion, entre rires et larmes (coeurs sensibles prévoyez un mouchoir), entre pertinence du propos et poésie des mots.
Il a fait d’Emma un tableau impressionniste qu’il peint par petites touches, qui vont de l’enfance à la vieillesse dans une série d’allers-retours amusants et séduisants, entrecoupés de musique ou de pas de danse.
Sous forme de saynètes, il évoque avec pertinence et lucidité les problèmes et dérives actuelles ( dont certaines évoquées dans une série de lettres à Ikea, au Père Noël, à Marlboro ou à la Bibliothèque Verte)

Physique et magique, Julie Duroisin nous séduit, nous cloue silencieux et complices à nos chaises.  Le moindre bruit, la plus petite toux deviennent sacrilège.  Emma nous parle, se confie à nous ses peluches, ses gros nounours silencieux qui savent si bien écouter et on en redemande.

Spectacle vu le 15-05-2008
Lieu : La Samaritaine

Une critique signée Muriel Hublet

Imprimer cette page
Enregistrer cette page sous format PDF