Les Chaises
Un couple de vieillards solitaires (plus de nonante ans) vit en reclus sur une île.
Lui raconte, elle le conforte, le pare de toutes les vertus, de toutes les capacités du monde même si, finalement il n’est que concierge (ou plutôt Maréchal des Logis !).
Enfermés dans la routine, dans les habitudes, ils se serinent les mêmes histoires, les mêmes espoirs, les mêmes déceptions.
Et pourtant ce soir, tout est différent.
Ils vont recevoir des invités, des riches, des propriétaires, des qui savent y faire.
Tous ces gens viennent là pour écouter le Message.
C’est qu’il est tellement important, résultat de toute une vie de pensées, de cogitations, de réflexions, que nos deux petits vieux ont invité le ban et l’arrière-ban de la société, ils ont même engagé un orateur.
Monsieur est si timide, il ne connaît pas bien les mots, l’Orateur lui sait, il présentera beaucoup mieux.
Les invités commencent à arriver : la Belle, le Colonel, les journalistes, le Photograveur…
Le nombre augmente, l’espace se réduit.
Lui se confond en salutations, en présentations, elle ne cesse de courir et d’amener des chaises.
Mais bientôt, il n’y en a plus, les derniers arrivés devront se tenir debout, contre les murs.
Notre petit couple est séparé par la foule qui se presse.
Mais quelle foule ? Les chaises sont vides ! Et l’Orateur alors ???
Eugène Ionesco nous offre une pièce intrigante qui remue bien des phénomènes de notre société.
La solitude d’abord.
Celle de ce couple, uni, mais seul, si seul.
Sans amis, sans guère de voisin.
Abandonné semble-t-il par leur fils.
Ils ont des récits contradictoires par instants.
Mensonges, omissions ou tout simplement embellissement de l’histoire pour rendre les souvenirs supportables ?
Autre évocation parfois poignante de l’auteur est la vieillesse.
On les voit boiter, perclus de rhumatismes, on perçoit l’envie d’être encore, d’aimer, de plaire, de désirer.
On sent le besoin de parler, de raconter, de transmettre leur expérience, de passer le flambeau.
Cette conférence en est le moyen.
Dans leurs conversations parfois burlesques apparaît le fameux vernis des conventions sociales, mais aussi pas mal de fêlures, entre rêve et réalité.
Autre moment tristement souriant est l’arrivée de l’Empereur, moment de suprême extase, de reconnaissance, de gloire.
Et n’est-ce pas ce que chacun cherche au fond de lui. Voir pour un instant le spot de la vie lui illuminer le visage, pouvoir hurler à tous (et être entendu) Je suis là !
Énorme malaise aussi quand on entend le bilan de toute une vie : J'ai voulu traverser la rivière, on m'a coupé les ponts, lorsque j'ai voulu franchir les Pyrénées, il n'y avait déjà plus de Pyrénées et le tout dit à deux voix, le mari se dévoilant, sa femme faisant écho.
Les chaises est une pièce qui émeut, qui interpelle.
Chacun la percevra à divers degrés.
Elle est faite pour sensibiliser sur plusieurs plans.
A l’aube de leur mort, deux âmes se confient.
Pièce drôle, tendre, poignante, surprenante, intrigante, elle est ici admirablement servie par Sophie Crowet superbe petite vielle, avec ses sourires tendres, énamourés, ses sanglots retenus, son menton tremblotant.
A ses côtés, Pierre-Olivier Ferry est le mari en perpétuelle hésitation entre confiance et crainte.
Ils signent tous les deux des rôles très physiques.
Entre le transport de ces quarante chaises toutes différentes (un peu comme les caractères des personnages-fantômes qu’elles évoquent) et ces moments de pur mime où ils s’expriment avec les absents, saluent le vide, meublent le néant de leur vie.
Entre clowns et tragédiens, ils sont le reflet, grâce aux mots de Ionesco et à la mise en scène d’Irène Chalkia d’une société réalistement triste, absurdement dérisoire, drolatiquement ironique.
Spectacle vu le 21-03-2007
Lieu :
Espace Théâtral Scarabaeus
Une critique signée
Muriel Hublet
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