Face de Cuillere
Une petite fille sans nom et sans âge, pour l’appeler, juste un sobriquet : Face de Cuiller.
Pourquoi une telle expression ? Car son visage a le même aspect aplati que le vôtre quand vous vous regardez dans le dos d’une cuiller.
Cette description tristement ironique, est exprimée un ton naturel, un peu comme une évidence.
Elle est attardée, autiste et alors ? Elle nous raconte pourtant sa petite vie avec des mots simples, avec des expressions répétées, attrapées, mâchonnées sorties de la bouche des adultes et on en rit.
Entendre un petit bout d’enfant qui ne fait guère plus de 5 ou 6 ans dans sa tête vous parler avec sérieux et conviction de papa et de sa pouffe, c’est agréablement déroutant.
Elle est différente et elle le sait, mais comme on le lui a appris, être autrement est une richesse.
Elle sait à peine lire et elle fait de tête des calculs insensés.
Elle est heureuse, elle accepte les choses comme elles viennent, sans vraiment d’états d’âme.
Elle est malade, elle a le cancer, elle ne sera jamais vieille, c’est une évidence.
Elle va subir les rayons, la chimiothérapie, la perte de cheveux, les vomissements sans se plaindre.
Chaque bride de son récit, sur un sujet qui n’a rien de joyeux, qui est même plutôt terrible, qui avec d’autres mots, raconté autrement réussirait à tirer des larmes à un caillou est tellement candide, empli de beauté et d’humour qu’on ne tombera jamais dans le mélo.
Cette petite fille parle tout simplement à nos cœurs, elle exprime nos peurs, nos doutes avec tant de facilité, elle déborde de douceur et nous entraîne dans son petit monde où tout paraît si simple et si tendre malgré les affres de la maladie et le spectre de la mort.
C’est un peu comme si petit à petit, elle devenait la fée bienveillante qui étend sur nous son voile protecteur, qui nous isole de nos problèmes, nous console de nos chagrins, nous guérit de nos bobos.
Il est donc un peu dommage que la fin du texte tombe dans des considérations plus philosophiques qui sonnent parfois un peu faux dans la bouche de ce petit bout d’enfant.
Cela brise un peu le charme, cela créée de petites fêlures dans le cocon pourtant si douillet qu’avait tissé autour de nous Face de Cuiller. Ces petites digressions sont comme un rappel à l’ordre, comme la sonnerie aigrelette d’un réveille-matin qui insiste pour nous ramener à la réalité, nous faire quitter l’idéale sécurité du rêve.
Seule en scène, dans un décor très sobre qui représente une chambre et son petit lit, Deborah Rouach est cette petite fille sans âge, mais tellement mature dans sa naïveté et sa candeur.
Elle réalise la difficile performance d’entrer dans la peau d’une enfant, d’adopter son phrasé, ses expressions, de nous faire ressentir son émotion tout en marquant ses différences et son handicap.
L’exploit tient aussi dans le juste équilibre entre la sensibilité délicate qui est exprimée sans jamais tomber dans l’appel à la compassion ou le pathos.
Face de Cuiller est une pièce à découvrir absolument,
Un peu comme un petit morceau de chocolat qu’on laisserait fondre doucement sur la langue pour en garder encore longtemps après le souvenir de sa douce saveur.
Spectacle vu le 09-01-2007
Lieu :
Théâtre du Méridien - Salle Nord
Une critique signée
Muriel Hublet
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