Mère de Guerre
Une pièce vide de tout décor, avec pour tout sol de gros cailloux blancs.
Sur une estrade, quatre musiciens aux visages fardés de blancs.
Appliquée sur le mur du fond, une sculpture faite de visages.
Une scène nue qui va laisser la part belle aux émotions.
Celle de la musique pour commencer, qui va s’élever lancinante pour créer l’ambiance lourde et oppressante de cet affrontement.
Comme enjeu, un vieil homme et sa valise en carton, il est là, à l’aube de sa mort et ses pensées s’agitent, ses souvenirs bouillonnent et ses questions sans réponses reviennent le hanter.Il est là entre la vie et le trépas et pour l’accompagner dans son dernier voyage sont revenus du passé et des limbes son parâtre et sa marâtre.
Des termes un peu désuets pour désigner l’homme et la femme qui ont recueilli ce petit garçon juif, qui l’ont protégé au péril de leur vie et lui l’ont élevé ensuite quand sa mère n’est pas revenue d’Auschwitz.
Cette femme est à jamais absente, mais toujours présente, jamais oubliée, mais réellement regrettée.
L’enfant et l’homme qu’il est devenu sont restés à tout jamais marqués, tiraillés entre la disparition de l’une et la présence de l’autre, le besoin d’aimer l’une et la peur de voler une part d’amour à l’autre.
Dans ce moment si privilégié, dans cette espèce de no man’s land, elles vont resurgir du passé et confronter leurs douleurs.
L’une clame son sentiment d’avoir été abandonnée, crie sa haine envers ses tortionnaires et sa rancœur envers cette famille qui lui a volé son fils.
L’autre met en avant son abnégation, la peur de voir partir son petit, le sentiment de n’avoir jamais vraiment été aimée pour elle-même.
Elles vont s’affronter en paroles, en gestes, comparer leurs douleurs et essayer d’imposer un choix à leur fils
Elles font de lui leur Salomon, lui demandant de trancher, de choisir qui il aimera d’un amour exclusif.
La mise en scène sobre de Jacques Neefs et le choix des costumes offrent une puissance et une originalité supplémentaires.
La présence des cailloux, si elle doit être maudite par les chevilles des acteurs accentuent cette impression de fragile équilibre et de subtil déséquilibre permanents.
Les costumes des parents adoptifs sont tout à fait flous, les acteurs portent un masque, pour accentuer leur absence, leur état d’esprit.
A l’opposé, la mère est habillée comme jadis, ses bourreaux l’ont tuée jusqu’au bout, même cet état spirituel lui est refusé. Même l’état de souvenir à aimer et à chérir lui a été interdit.
Ces contradictions sont superbement rendues visuellement et dans le mouvement. Ils se déplacent tour à tour vivement, mais aussi à gestes lents, parfois saccadés, dans une sorte de ballet.
Les acteurs méritent aussi leur belle part d’applaudissement pour avoir su insuffler tant de vie, de passion et de douleur contenue aux mots d'Adolphe Nysenholc.
Dolorès Delahaut est une superbe mère, criante de vérité, pathétique et tout à la fois rayonnante de détresse et de désespoir.
Grégoire Baldari est le fils déchiré et nous fait ressentir avec brio le poids de son dilemme, l’immensité de son désarroi, partagé qu’il a été, de tout temps entre deux amours, entre une fidélité à une mort et la tendresse d’une vivante.
Certaines de ses scènes, sans un mot, avec seulement le regard, le visage illuminé, torturé, magnifié par la souffrance sont sublimes.
Pour Hassiba Halabi, la marâtre, la prestation est encore plus ardue. Elle a en permanence le haut du visage caché, son jeu doit donc s’axer sur les yeux et les mouvements corporels, mais elle s’en sort haut la main.
Mère de guerre est à voir très vite, d’urgence même tant pour ses qualités que par la force de son message. On ne peut donc que déplorer que des aléas et contingences en aient raccourci la programmation.
Spectacle vu le 28-09-2006
Lieu :
Espace Delvaux
Une critique signée
Muriel Hublet
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