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Dis à ma fille que je pars en voyage
Dis à ma fille que je pars en voyageL’intérieur sordide d’une cellule et les affres de la promiscuité forcée sont les premières choses qui sautent aux yeux dans cette pièce de Denise Chalem (qui joue le rôle de Caroline et signe également la mise en scène).
Mais loin de ces premières évidences, le spectacle est d’une profondeur insoupçonnée.
On sent derrière chaque rire, parfois forcé, parfois libérateur la fêlure qui résonne dans ces deux femmes, deux blessées de la vie, réunies là pour le pire, éloignées pour très longtemps de leur meilleur et que tout oppose en apparence.

L’une est une ex-riche, snobinarde, peu habituée à devoir se battre physiquement, une victime rêvée pour ce monde carcéral fait de violences, de rapines, de mesquineries (féminines) de bagarres, de vols et de viols.
L’autre est une mère de famille, qui avait une vie toute simple (mais très dure) mais qui a assassiné froidement son mari, coupable d’attouchements sexuels, et probablement bien plus,  envers leur fille de 6 ans.
Elle n’a jamais voulu avouer la cause de ce meurtre considéré comme inexplicable et crapuleux pour ne pas obliger sa fille à témoigner, à se rendre compte de la souillure qu’elle a subie.
En fin de compte, elle est rejetée par cette enfant qu’elle a voulu protéger et elle en paie un prix pesant, lourd à porter et à supporter.
Elles vont vivre ensemble, contraintes et forcées. 

C’est cette cohabitation par moments chaotique et houleuse que nous allons vivre pendant deux heures.
Au rythme des portes claquées, des grincements de verrous, du tintamarre des voisines et des cris ambiants, nous allons découvrir la prison, ses règlements, son fonctionnement, ses dérapages.
Fouille corporelle, manque d’intimité, prix exorbitant des choses, nourriture à l’aspect bouillie pour bébé,  matonnes, mitard, abus de pouvoir en tous genres (de la tentative de viol par une surveillante lesbienne à la basse vengeance d’une autre qui assouvit ses petits besoins dans les raviers à médicaments des détenues), tout nous sera raconté ou montré.
Sans fard, sans pudeur, mais surtout sans créer d’aspect étalage gratuit et revendicateur, la pièce se veut une histoire plausible, ancrée dans la (triste) réalité d’aujourd’hui, mais aussi et surtout le récit de la naissance d’une improbable amitié, de liens en apparence voués à l’échec et qui finalement vont s’avérer aussi solides que … les barreaux d’une prison. 

Trois femmes sur scène pour nous faire ressentir et nous faire vibrer aux paroles, mais surtout aux gestes silencieux, aux positions des corps qui en disent plus longs que bien des discours verbeux.
Un petit geste anodin… faire couler de l’eau froide sur son poignet, cela semble une bêtise, on n’y prête pas attention, mais si ce n’était que le moyen de s’obliger à faire pipi en public, un moyen bien nécessaire pour vaincre une pudeur instinctive.
Dis à ma fille que je pars en voyage en est rempli et crée ainsi une harmonie magique entre la douleur, la peur et la honte qui suintent de ces deux prisonnières et le comique de la confrontation entre elles.
C’est un savant dosage, une parfaite alchimie qui nous laisse en délicat équilibre entre gaîté et larmes, entre rires et gorge nouée par l’émotion.

Sublime et poignant face-à-face
Un spectacle que l’on reçoit comme un uppercut… en plein cœur

Spectacle vu le 24-10-2006
Lieu : Atelier Théâtre Jean Vilar

Une critique signée Muriel Hublet

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