Bloody Niggers !
Entre spectacle et grand coup de g…, Bloody Niggers, que l’on peut traduire par Foutus Nègres, est un réquisitoire contre les génocides et la maltraitance humaine.
Dans une sombre et insoutenable litanie, trois hommes vont élever leurs voix, énumérer peuples et victimes, morts et torturés.
Mieux qu’un plaidoyer, cette dénonciation par les chiffres, sur un ton presque monocorde, ces lectures froides de mots de nos gouvernants du passé donnent le frisson dans le dos.
Les attentats du 11 septembre ont scandalisé toutes les opinions et sont devenus la porte ouverte à toute une série de représailles pseudo antiterroristes.
Ils sont ici le point de départ d’une remontée dans le temps et dans le sang.
Les trois acteurs font éclater tous les verrous accumulés, ils mettent en lumière les sombres cagibis emplis de secrètes noirceurs, ils montrent salles de tortures et chaînes de la mort. Ils fouillent les recoins de l’histoire. Ils exhument les horreurs oubliées. Ils réveillent les exterminés du progrès, les morts par raison d’état ou par besoin économique, …
Des juifs d’Auschwitz, dont tous se souviennent, aux massacres de Rwanda encore dans beaucoup de mémoires, des Amérindiens victimes des conquistadors au bois d’ébène africain, et bien d’autres.
Ils fustigent les bonnes consciences.
Pays des droits de l’homme et des libres-penseurs, berceau des dictateurs, spadassins politiques et autres exécuteurs des hautes œuvres bassement financières, l’Europe (ancienne et actuelle) est mise au banc des accusés.
Macabre, révoltant, interpellant, ce premier volet cloue le spectateur au pilori d’indifférence oublieuse.
Loin d’un théâtre classique, cet immobilisme voulu, devant une toile sombre et dorée et quelques judicieuses images vidéo, renforce l’impact de l’impitoyable et non exhaustif réquisitoire.
La seconde partie retrouvera les arcanes plus classiques du jeu d’acteur.
Younouss Diallo, dans un monologue percutant, éructe un portrait rageur de son Afrique natale.
Il en dépeint la misère et les contradictions.
Il hurle sa colère et ses frustrations.
Il accuse l’homme blanc de son esclavage et enrage du joug des ethnies, des internes luttes intestines qui empêchent l’Afrique de se dresser enfin forte et unie face à l’oppresseur financier.
Dorcy Rugamba empoigne ensuite l’ancestral pilon et martèle, au propre comme au figuré, nos esprits pour nous fustiger de son sentiment de révolte et d’injustice.
Bloody Niggers est dur, par moment insoutenable.
Le texte est le fruit de recherches pointues pour réveiller enfin nos consciences sur une bien triste réalité et sur les conséquences encore actuelles d’un passé peu glorieux.
A l’heure où le racisme est à nos portes, où la xénophobie est devenue quasi une loi souveraine, Bloody Niggers remet les pendules à l’heure.
Nous n’avons pas l’apanage de la bêtise et de la haine.
Celui que nous snobons, que nous considérons comme un moins que rien, comme un mandaï, comme un esclave, a lui aussi de très bonnes raisons de nous honnir.
Prendre conscience de l’autre, du passé et essayer d’effacer les rancoeurs accumulées, si c’était cela le début de la tolérance ?
Spectacle vu le 23-03-2007
Lieu :
Théâtre National - Grande Salle
Une critique signée
Muriel Hublet
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