La Mouette
La version de Jacques Delcuvellerie est de retour au Théâtre National jusqu’à mi-mars.
Une mouette très visuelle qui joue sur une certaine actualisation et sur l’utilisation des techniques modernes.
La première partie se passe au milieu du public, les acteurs les traversent, les contournent et offrent au propre comme au figuré un spectacle.
Entre double représentation théâtrale et chanson rock, s’il n’y avait les mots de Tchekhov, on friserait avec un très plaisant et déroutant voyage en absurdie.
Entre le début du XIXe (date prévue par l’auteur) et les seventies, la pièce fait un bond temporel innovant et rafraîchissant. Nous sommes au bord d’un lac, Constantin (Lorent Wanson) y dévoile sa première œuvre à sa famille et à ses amis. Il a choisi comme interprète Nina (Jeanne Dandoy), la jeune fille dont il est épris.
Son vieil oncle Sorine (Maurice Sévenant), aigri par son âge et son impotence alors qu’il n’a pas eu le temps de vivre mais très lucide et clairvoyant sur les aspirations de son neveu, le médecin et ami (Julien Roy), un bon vivant au caractère nonchalant, aux remarques ironiques mais à l’oreille compatissante sont là. Mais, hélas, dans ce petit public il y a aussi sa mère (Anne-Marie Loop), actrice célèbre et son amant du moment un non moins prestigieux écrivain (Alexandre Trocki).
Les choses ne tourneront pas comme il l’espère.
Difficile d’être un novateur, surtout devant deux éminences du traditionalisme.
Colère et déception face à l’insuccès sont naturellement de mise, mais quand l’être aimé se détache, fuit vers une aura plus brillante, celle du rigoriste auteur Trigorine le drame est inévitable.
C’est dans un jardin, audacieusement reconstitué, parmi quelques membres du public, assis dans des fauteuils, qu’ils vont vivre cette nouvelle confrontation, voir naître de nouveaux sentiments, assister au désespoir de Constantin.
Jacques Delcuvellerie opte ici aussi pour une vision originale, une caméra filme les acteurs et les images sont retransmises en direct et en gros plans sur des écrans. Les acteurs ont des micros et ils peuvent évoluer sans problèmes au milieu du public, être un peu éloigné, tout le monde continue à les entendre et à les voir.
Cette vision permet d’insister sur les visages et de mieux apprécier le travail et le talent des comédiens.
Pas de petit ou de grand rôle, chacun est généreusement décrit, prend relief et vie.
Force de caractère, humour, faiblesse, amour, faux-fuyants, espoirs et déception sont autant de fleurs qui éclosent pour quelques heures ou bien plus. Elles exhalent leurs parfums, lourds ou légers, sous les frondaisons verdoyantes de cet été de vacances. Elles pèsent sur cette ambiance censée être dédiée au repos et à la tranquillité, transformant à tout jamais les uns et les autres.
Le public touche du doigt l’action, sent le froufrou d’une robe l’odeur de la cigarette.
Comment dès lors ne pas percevoir le tumulte des sentiments qui s’agitent devant nous.
Cette partie centrale du spectacle est la plus parlante, la plus touchante.
Par une sorte de compte à rebours, nous nous retrouverons dans les années 1900 pour le final.
Les fleurs suaves de l’espoir sont fanées, leurs odeurs légèrement putrides alourdissent la sombre atmosphère d’une époque qui se meurt.
Comme un rocher usé par le temps, les rêves, minés par la déception et les aléas de la vie, s’effritent.
La mouette plonge dans la noirceur de la tristesse, l’ombre de la mort rôde. Il n’y a plus d’espoir, plus d’avenir.
Retour aux bases du théâtre, plus aucun artifice, plus aucune surprise de mise en scène, du jeu et rien que du jeu.
Ce dernier acte désarçonne un peu dans sa différence, mais s’explique aisément, il est la fin de tout.
Fin d’une époque, d’une manière de vivre, fin d’une vie.
Constater un échec, voir ses rêves se diluer dans la moiteur d’une pluie d’orage, quoi de mieux, pour les faire ressentir, que la simplicité des mots et le poids de l’ombre pour accentuer cette douleur, ce deuil insupportable qu’est l’adieu aux idéaux et à la vie.
Une mouette originale et audacieuse dans ses différences, innovante et classique tout à la fois.
Généreuse dans son étude de caractères et avec une belle brochette d’acteurs.
Ils sont tous excellents, offrent un relief à chaque personnage.
Difficile d’en dégager certains et d’oublier les autres. Ils méritent les applaudissements bien mérités du public.
Un spectacle qui vaut la peine que l’on passe outre sa durée (4 heures avec l’entracte) pour retrouver les mots de Tchekhov, découvrir la mise en scène rafraîchissante et innovatrice de Jacques Delcuvellerie et surtout se délecter des prestations des comédiens.
Spectacle vu le 27-02-2007
Lieu :
Théâtre National - Grande Salle
Une critique signée
Muriel Hublet
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