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Motortown
MotortownPas de décor, un espace entièrement vide.
Au sol un grand carré blanc pour situer l’action, autour six chaises, six acteurs.
Au centre, deux hommes.
Ainsi commence Motortown.
Une pièce qui bouleverse un peu nos traditions théâtrales.
Rien de caché, tout se voit, tout se montre et surtout doit être vu.
L’ensemble se passe probablement sur une seule journée.
Un jeune homme Danny, soldat anglais, est de retour d’Irak.
Il retrouve la vie civile et est hébergé chez son frère.
Tout pourrait être facile et se passer dans la joie et dans la bonne humeur.
Mais Motortown est très différent.
Il se focalise, avec lucidité, sur les souffrances de ce jeune homme qui n’a plus de repères.
Il a vécu là-bas dans un pays où il représentait la force, mais était aussi une victime.
Un sourire, une larme sur le visage d’une enfant irakienne pouvait cacher une bombe.
Comment être certain, se sentir en sécurité ?
La pièce de Simon Stephens évoquera aussi les atrocités, les abus de pouvoir, les tortures, les viols que les soldats font subir aux prisonniers et … à d’autres soldats.
Il nous plonge Motortowndans une réalité souvent soigneusement masquée par les médias.
Il démontre que les braves défenseurs du bon droit et de la bonne conscience internationale sont parfois tellement conditionnés et manipulés, qu’ils en deviennent victimes, des presque malades en puissance qu’on réinjectera dans la société civile sans en mesurer les risques.
On crie haro sur les terroristes étrangers, on vilipende les décisions politiques, mais peut-on imaginer que certains d’entre nous aient été détruits et soient devenus des prédateurs pires que ceux d'Al-Qaida.
Les regards suspicieux de nos pandores sont entraînes et drillés à repérer le comportement suspect des étrangers, mais qui irait penser qu’un courageux soldat, un héros de la patrie est un assassin en puissance, une bombe à retardement, une accumulation de violence prête à éclater à tout moment.
Puissant et frappant,  Pierre Lognay, dans le rôle de Danny, occupe la scène du début à la fin.  Il fait monter la pression (et l’oppression) pour nous révéler le portrait sans concession d’un homme qui n’a plus aucune retenue, aucune valeur morale.
Face à lui, un superbe Aurélien Ringelheim, dans le rôle de Lee, son frère autiste.
Une composition pas évident,e mais jouée avec brio, regards fuyants,  mouvements torturés des doigts, tout y est … Une belle étude des détails.
MotortownA leurs côtés, Edwige Baily, Alexandre Dewez, Michelin Goethals, Fabrice Rodriguez, Jean-Michel Vovk  et en alternance Médina Angoundou et Sarah Santkin représentent les amis et les rencontres d’un instant qui vont pousser Danny dans l’abjecte atrocité.
Mais qui n’est qu’une vague copie de ce qu’il a vécu à l’armée.
La mise en scène de Derek Goldby est très sobre … d’apparence.
Tout y est pourtant soigneusement étudié.
Il s’aide de petits accessoires judicieusement choisis comme cette housse mortuaire Il privilégie dans chaque scène une grande minute de silence pour permettre au public d’intégrer l’émotion et le sens des mots, de les laisser descendre au plus profond et se répandre en eux comme ils se diluent dans l’esprit de Danny à la vitesse d’un poison violent.  Ou encore, comme une sorte d’intermède entre chaque scène, tous les acteurs vont et viennent autour de Danny comme pour préfigurer et pourtant le monde continue de tourner … ignorant.
Quand ils se mettent à éponger le sang, silencieux, dans une semi-pénombre, sont-ils acteurs involontaires ou complices  inconscients et muets d’une indicible conséquence de la guerre.  Ce que certains pragmatiquement oseraient appeler un …. Dommage collatéral ?

Spectacle vu le 05-03-2007
Lieu : Théâtre de Poche

Une critique signée Muriel Hublet

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