L’Atelier
Des chansons d’époque pour rythmer le mouvement de l’aiguille.
Cinq cousettes, cinq petites mains travaillent dans un atelier de confection peu après 1945.
Fous rires, chamailleries, petits coups de griffes et mesquineries sont de rigueur pour notre plus grand plaisir.
Mais derrière cet humour bon enfant, cette gaieté et des propos légers se cachent pas mal de fêlures.
Sous des débuts anodins, la pièce prend très vite un ton délicat, les tensions de chacun apparaissent au détour d’une aiguillée ou d’un bruit de fer à repasser.
La guerre a laissé partout des séquelles, plus ou moins visibles.
Ils sont là espérant un futur meilleur, la fin de la peur et des privations, mais ils ont toujours les pieds englués dans le passé.
Les restrictions, les pénuries, la naissance des revendications syndicales prêtent à sourire aujourd’hui, mais pas à l’époque.
Mais le plus dur, le problème le plus évoqué, à mots feutrés, sans jugement, avec beaucoup de pudeur même, est les juifs dans cet après-guerre.
On parle de ce qu’ils ont vécu, des souffrances en déportation oui, mais peu.
Le principal s’axe sur ceux qui sont restés.
Les survivants de l’ombre, les miraculés qui ont échappé aux rafles et aux trains.
Ceux qui vivent avec en eux la culpabilité morbide du survivant.
On découvre aussi cette épouse, seule, avec ses deux enfants, courir de bureau en office, de l’Hôtel Lutetia à la mairie, pour avoir une confirmation, un état de sa situation.
On la voit aussi recevoir enfin des années plus tard un certificat de décès lui confirmant que son mari est mort en France, le jour où il a été arrêté par la Gestapo.
Une forme de camouflet, de rejet d’une souffrance ?
Sans grandes envolées lyriques, les acteurs s’expriment surtout grâce à la profondeur intrinsèque du texte de Jean-Claude Grumberg qui d’un mot simple, sans grande phrase en dit plus et fait percevoir bien mieux ces drames intimes, ces consciences torturées, ces vies déchirées que ne réussissent souvent à le faire les longs discours.
Dans ce petit peuple de L’Atelier, il nous faut épingler Guy Pion, superbe en singe (patron de l’époque) bourru, profiteur, raisonneur, mais sublime dans sa mauvaise foi et dans sa souffrance.
A ses côtés, son épouse (de théâtre) Béatrix Ferauge est là froide et maîtresse d’elle-même, en apparence, elle donne une juste note à un personnage que l’on sent pragmatique, mais aussi intérieurement torturé.
David Pion est le premier presseur, l’homme qui revient des camps, l’homme qui continue par habitude à se réveiller aux aurores, l’homme rempli d’espoir, mais qui n’ose avancer, se manifester tant le passé reste trop présent à son esprit.
Muriel Jacobs nous offre une bonne interprétation de Madame Simone, cette jeune femme juive à la recherche de son mari, jamais revenu d’Allemagne et déclaré mort en France.
Impossible de les citer tous, et pourtant aucun ne démérite, c’est dans un ensemble réussi qu’ils nous offrent sous la direction avisée de Michel Kacenelenbogen un spectacle harmonieusement réussi entre rires et larmes.
Une comédie douce-amère, pas du tout cousue de fil blanc, qui pique à justes points et se faufilera dans nos cœurs et dans nos mémoires.
Spectacle vu le 10-11-2006
Lieu :
Théâtre Le Public - Voûtes
Une critique signée
Muriel Hublet
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