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Savannah Bay
Savannah BayUn salon, une actrice vieillissante.
Sa tête est comme enserrée de voiles.
Par moments, ils se font transparents ou s’écartent pour laisser passer une bribe de souvenir, une émotion et allumer le regard.
Par moments, ils deviennent lourdes tentures de noir brocard, opaques, compactes, ils éteignent l’étincelle au fond des yeux, ils éloignent les pensées du présent et de la réalité.
Qui est-elle ?
Femme perdue, oublieuse, égarée, secrète, un peu comme un vieux 33 tours usé, rayé, qui tourne en boucle, qui tressaute, qui radote.
À ses côtés, une jeune femme qui la questionne, qui la sollicite, qui titille sa mémoire défaillante.

Marguerite Duras nous offre un texte complexe, un peu comme ces poupées russes qui s’ouvrent une à une pour receler dans la plus petite le cadeau précieux.
Tout son récit tourne autour de Savannah Bay, d’une passion amoureuse, d’une pierre blanche, d’un ciel bleu, d’une disparition.
La vielle femme se souvient, mais quelle était la réalité ?
Où est la part d’affabulation ?
La douleur est là, prenante, pesante, palpable, mais n’estompe-t-elle pas la vérité ?
Le sablier du temps se renverse, culbute, roule.Savannah Bay
Ses grains s’égrènent de manière anarchique amenant avec eux une petite révélation, une précision, un détail, une odeur, un cri, un silence, une voix, une impression, une couleur, un geste.
Petit à petit, ils viendront se coller sur un tableau bleu turquoise, délicatement irisé, dans une peinture fragile et éphémère.

Savannah Bay est une pièce courte (1h10) au texte étrange, fort, un peu difficile de prime abord.
Les mots de Marguerite Duras peuvent s’interpréter et se percevoir de maintes façons.
Geneviève Labar a choisi de parler de la douleur de l’Alzheimer et d’une relation filiale perturbée.
Une option qu’elle présente avec beaucoup de logique et qui permet aux deux comédiennes d’offrir une belle palette d’émotions.
Jacqueline Préseau, Madeleine, l’actrice vieillissante et malade, se perd, s’égare, se raccroche à un mot, à une bribe de souvenir, sautillant d’une phrase à l’autre, s’arrêtant sur un mot, le geste bloqué, l’esprit éteint.
Aïcha Aït-Taïb est cette jeune femme anonyme, qui questionne, qui stimule, qui semble attachée à ce récit éperdu.
Elle pousse Madeleine dans une quête éperdue de la vérité.
Elle s’implique, elle vibre, elle vit aussi ce passé douloureux.
Savannah Bay est comme un écrin.
On en soulève délicatement le couvercle pour découvrir, sur le velours opaque, une pièce d’orfèvrerie somptueuse, torturée, tarabiscotée, ornée de perles translucides, qui la sillonnent comme des éclairs frémissants,  mais qui reste d’une séduisante simplicité épurée.

Spectacle vu le 15-06-2007
Lieu : Théâtre de la Flûte Enchantée

Une critique signée Muriel Hublet

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