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Catoblépas
Catoblépas avec Chantal Pirotte et Jacqueline PréseauCette pièce de théâtre écrite par Gaëtan Soucy fait suite à son roman La petite fille qui aimait trop les allumettes. Ne pas l’avoir lu ne vous empêchera pas de la comprendre, d’en  percevoir la musicalité, d’entendre la puissance des mots, les délires et les souffrances qui se cachent derrière des images fortes et prenantes.
Dans un langage très imagé, accentué encore à nos oreilles européennes, par l’emploi de mots et de comparaisons peu usitées chez nous, mais plus en vogue au Canada, il nous prend à témoin d’un dialogue entre deux femmes.
La poésie des mots, leur phrasé qui ondule comme une mélodie sont une peinture faite de petites touches de textures très différentes pour créer un tableau original et très tourmenté.
Gaëtan Soucy marie la boue et le sang, le rouge et le noir pour créer une vision étonnamment vivante de la douleur.
Catoblépas avec Chantal Pirotte et Jacqueline PréseauMots forts et mots doux, haine, amour, rejet, peine, tous résonnent dans nos oreilles d’une manière surprenante et parlent en direct à notre cœur.

Dans un décor quasi vide, avec pour seul élément prépondérant une fenêtre, tout à la fois ouverte pour leur permettre de l’entrapercevoir mais aussi un obstacle infranchissable, un morceau de verre opaque qui les en sépare.
Elles n’ont que lui à la bouche, le nom d’un homme qui est bien plus que le sujet de leur conversation, il est le centre de leur vie, leur raison d’être, d’exister et de survivre encore un peu.
Elles vont s’affronter, d’aveux en confidences, en essayant de se donner place et importance dans sa vie.
L’une, Alice, se dit sa mère biologique que la vie et la maladie ont séparée jusqu’à présent de son fils.
Catoblépas - Chantal Pirotte Elle est là forte de son amour inconditionnel et irraisonnable qui l’a porté et soutenu durant des années d’enfermement psychiatrique.
Elle parlera d’elle, à mots couverts, mais elle criera sa souffrance aux mains des médecins et des gardes-malades, confinée dans une camisole chimique qui lui transforme le sang en vinaigre glacé.
Forte de son bon droit acquis par le sang, elle imagine et rêve d’un accueil à bras ouverts dans la vie et dans le cœur de son fils.
Chantal Pirotte est cette femme fragile, perdue, égarée qui se raccroche à ce fils comme à un talisman, qui le considère comme une promesse de Dieu, un droit inaliénable
Elle nous fait à merveille ressentir les contradictions de cette âme tourmentée, ses colères, mais aussi son amour absolu qui la transcende quasiment dans sa dernière tirade.
L’autre est sa NiouNiou, la femme qui l’a élevé avec abnégation, mais aussi avec un amour exclusif.  Elle l’a enfermé dans un monde étroit, étriqué, elle l’a drogué, elle l’a tenu à l’écart de tout, se servant de son état physique et de ses maladies pour l’isoler du monde et des hommes.
Mais le bébé a grandi, la justice s’en est mêlée, on lui a ouvert les murs de sa prison et on lui a élargi son horizon.
De petit bébé fragile, le Catoblépas est devenu un homme calculateur, froid et opportuniste.  Catoblépas - Jacqueline PréseauIl semble donc jouer avec l’amour inconditionnel de Jacqueline Préseau et s’amuse à la rejeter, à la repousser pour mieux en profiter ensuite.
Un rôle de femme torturée et tragique qui lui va comme un gant.

La pièce est donc un peu comme un jugement de Salomon.
Chacune expose ses droits, ses ambitions, ses rêves, ses désirs et ses souffrances.  La mère biologique s’oppose à la mère de cœur.
Mais où est la vérité dans le récit de ces deux femmes qui nous racontent exactement ce qu’elles ont bien envie de dire pour mieux se manipuler l’une l’autre ?Jamais nous ne la trouverons tant le texte de Gaëtan Soucy est superbement tourné, il nous manipule allègrement, nous laissant croire une chose pour mieux nous détromper ensuite.
Servi par Chantal Pirotte et Jacqueline Préseau, dans une sobre mise en scène de Christian Ferauge,  Catoblépas est une pièce qui empoigne et qui surprend par la force et la musicalité poétique de ses mots.

Spectacle vu le 13-10-2006
Lieu : Théâtre de la Flûte Enchantée

Une critique signée Muriel Hublet

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