La cuisine
Arnold Wesker dresse le portrait, sur le fil du hachoir, d’un microcosme en pleine ébullition, coincé entre les contraintes et les frustrations d’un boulot qu’ils apprécient peu, mais dont ils connaissent les avantages.
L’originalité voulue par l’auteur est que rien n’est vraiment tangible.
Les acteurs posent des gestes dans le vide.
Ils épluchent le vide, ils grillent le néant.
Ils nous offrent des gestes de virtuoses soigneusement étudiés (chez Yves Matagne) mais sans le plaisir des yeux et surtout les odeurs et les fumets.
Tout commence au petit matin quand on allume les fourneaux, la scène éclaire la cuisine moderne d’un restaurant.
Un à un, serveuses, pâtissier, rôtisseur, commis, cuistot, saucier font leur apparition.
Chacun apporte son caractère, ses espoirs, ses envies, ses tabous, ses amours.
Tout se heurte, se confronte, se compare et se mélange.
Haché et broyé sous la moulinette exigeante du travail, de l’obligation d’aller vite, de résister au stress que deviendra ce drôle de potage ? Délicieux velouté ou soupe aigre ?
Chacun sa place, chacun son rôle, de la petite main au grand chef.
Les légumes se découpent, les viandes se tranchent, …
Ils parent et émincent, ils bardent et salent.
Tout se prépare, tout mijote doucement.
Les nationalités se mélangent.
Arabe, juif, allemand, polonais et même des belges sont comme paprika, curry, safran ou marjolaine. Les épices d’une recette secrète, d’un plat qui va mijoter doucement sur le coin d’une des gazinières du Tivoli.
Que va-t-il en sortir, un superbe ragoût ou un infâme brouet ?
L’ensemble de la pièce se passe sur une seule journée, sur un concentré de vie.
Elle représente l’ensemble des aspirations et des malaises de la société de 1956. Elle est un grand cru qui ne s’est ni bouchonné ni transformé en vinaigre. Il ne s’est pas bonifié, mais il a gardé toutes ses qualités.
Le décor ne suffit pas, il faut aussi que la sauce prenne et vite, sinon, trop ont tendance à rendre leurs tabliers.
C’est un peu le défaut ici, la préparation et la mise en place sont trop lentes, la folie démentielle du rush de midi en devient presque insupportable (et assourdissante).
Deux desserts et trois cafés !
Quatre soles !
Un poulet !
Un minestrone !
Une omelette !
Un turbot grillé !
Pendant ce qui va sembler une éternité bruyante (il faut bien mimer le fait d’avoir assuré 1500 couverts !), les ordres vont fuser, les portes claquer, les talons des serveuses cliqueter, l’aluminium du plat va entrechoquer contre celui du fouet, les assiettes sont tressauter, tomber et se casser dans un ballet soigneusement réglé mais démentiel et à donner le tournis.
Heureusement, la pause, le repos bien mérité arrivent.
Chacun va pouvoir souffler quelques heures, reprendre des forces pour affronter le service du soir.
La fatigue aidant, chacun est plus calme, plus propre aux confidences. On découvre une humanité derrière un des portraits sinon fort caricaturaux.
C’est là aussi que vont se déposer les ferments de l’explosion finale.
Prévisible pour le spectateur qui a vu la fumée s’élever, les premiers frémissements apparaître, les bouillons vont se succéder de plus en plus vite pour voir déborder le lait.
Pour voir le brûlant liquide se répandre dans une cuisine aussi explosive qu’une gazinière qu’on a oublié d’éteindre.
Pour y avoir goûter jusqu’au bout, cette cuisine est un peu fade, elle laisse en bouche l’impression de contenir plein de bonnes choses, mais qu’il y manque un liant ou la patte du chef pour devenir un plat mémorable.
Entre gastronomie, restauration, fast-food et mal bouffe, il n’y a qu’un pas.
Entre satisfaction et indigestion, il n’y a parfois qu’une infime pointe d’épices.
Tout est question de goût et … de faim.
Spectacle vu le 02-03-2007
Lieu :
Théâtre des Martyrs - Atelier
Une critique signée
Muriel Hublet
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