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Élisabeth II
Élisabeth II - Denis LavantCruelle vieillesse !?
Une immense pièce, de hauts murs, quasi aucun meuble.
Une impression de solitude glacée.
Une demeure à l’image de la vie de son propriétaire.
Herrenstein, vieillard aigri et misanthrope, a littéralement fait le vide autour de lui.
Coincé par un accident dans une chaise roulante dès sa jeunesse, ce riche industriel a pris en grippe la bonne société viennoise.
Littéralement replié sur lui-même, son entourage se réduit à quelques domestiques qu’autoritaire, voire quasi despotique, il tyrannise sans vergogne.
Aujourd’hui pourtant, sa routine bien huilée va être fameusement chamboulée.
La Reine Élisabeth est en Autriche.
Son cortège passera sous le balcon de son luxueux appartement.
Son neveu a profité de l’occasion pour squatter les lieux et surtout inviter le gratin de la ville.
De quoi faire fulminer celui qui fuit, depuis tant d’années, les mondanités hypocrites, la politique et les jeux de pouvoir et d’argent.
Il enrage, il éructe, il invective, crache fiel et vilenie avec un cynisme décapant.
Malgré ses mots glaçants, amers et cruels, on s’amuse de son comique désespoir, de ses sorties virulentes, de son art manipulatoire, tout en ressentant, par instants, comme un froid malaise devant de tels propos, un tel comportement.
Derrière son apparence de pépère cacochyme, le fossile croulant a une énergie râleuse incroyable.

Quasi monologue, Élisabeth II est outre une formidable performance d’acteur de Denis Lavant, un splendide travail d’expressivité scénique imaginé et mis en scène par Aurore Fattier.
Quasi sans prononcer un mot, Richard le secrétaire (Alexandre Trocki) et Mme Zallinger la gouvernante (Delphine Bibet), figés dans une impassibilité professionnelle, expriment avec brio leur répulsion, leur haine pour leur patron-bourreau.
Élisabeth IIJean-Pierre Baudson, Véronique Dumont, Michel Jurowicz, et François Sikivie complètent cette distribution guère bavarde.  Truculentes soubrettes, neveu, banquier, envahisseurs flagorneurs et excentriques, Aurore Fattier leur a donné bien plus qu’une présence. 
Intelligemment, jouant à la fois sur le ressort comique et sur d’habiles vidéos, la metteuse en scène fait de ces ‘oreilles’ de vrais partenaires pour mieux mettre en relief le caractère irascible d’Herrenstein mais aussi ses contradictions, ses failles et ses peurs.
Sous sa houlette inventive et grâce à l’investissement et au talent de cette belle brochette d’acteurs, l’œuvre de Thomas Bernhard devient le portrait savoureux et vibrant d’un atrabilaire hargneux confronté à l’horreur d’une vieillesse totalement dépendante.
Jouissif et troublant !

Spectacle vu le 10-11-2015
Lieu : Théâtre Varia - Grande Salle

Une critique signée Muriel Hublet

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