Un plateau vide, ou presque, immense, bleuté, un peu comme une fenêtre ouverte sur un autre monde (le public est installé de part et d’autre).
Un homme entre, le pas ferme, on perçoit sa colère, rentrée d’abord, qui va exploser ensuite.
Alceste (Philippe Jeusette) s’en prend au poids des conventions, de la bienséance, de la politesse que lui impose la vie en société.
Il veut se libérer de son carcan, cesser les salamalecs pleins de fausseté, mettre fin aux minauderies de bon ton, aux fréquentations presque obligatoires, à l’obligation d’approuver poliment les pires inepties juste parce qu’exprimer une opposition, un avis différent, une critique, ça ne se fait pas.
Arrivé en costume d’époque, il va se dépouiller rageusement de ce déguisement pour enfiler une tenue bien plus moderne et sobre.
Le ton est donné.
Philippe Sireuil a choisi d’inscrire ce classique de Molière dans la contemporanéité.
Smoking et tailleur se marient avec les rimes pour donner une vision puissance et actuelle d’un homme qui rejette les diktats de la société.
Petit à petit, la scène va se remplir de meubles au design épuré et moderne, chansons, danses et musiques vont résonner dans un mariage réussi entre le propos des années 1670 et notre tendance alternée de bénis oui oui ou d’ermite révolté ou râleur.
Loin d’être déplaisante, cette intrusion actuelle séduit.
La mise en scène sobre et efficace de Philippe Sireuil nous fait percevoir ou redécouvrir les subtilités cachées dans ce texte dense (3heures avec entracte) et lui donne un relief plus corsé encore (si cela était possible).
On lui reprochera peut-être certaines scènes comme le final qui fait marcher les acteurs sur la table et semble un peu trop déjanté par rapport à un ensemble plus modéré et plus délicat.
Mais on le lui pardonnera bien vite, tant il révèle, avec beaucoup de subtilité, toutes les facettes d’Alceste (Philippe Jeusette) un homme tourmenté et très humain.
Amoureux éperdu de Célimène, jeune veuve coquette, il va vivre l’incompréhension de ses pairs et se consumer sous les affres de la jalousie.
Marie Lecomte joue ce rôle avec beaucoup de grâce, de jeunesse et de fragilité (qui la dessert un peu dans ses colères où elle paraît presque écrasée par la présence fabuleuse et toute la fougue déchaînée de Philippe Jeusette).
Florence Minder est une Arsinoé piquante, affublée d’une tenue très originale, elle joue un rôle de fausse prude, mielleuse, cauteleuse et vindicative à la perfection.
Oronte et son sonnet grotesque sont servi avec panache par Jean-Pierre Bodson
Sobres, Philinte (Thierry Lefèvre) et Eliante (Edith Van Malder) contrastent presque idéalement avec l’emportement exalté d’Alceste et de Célimène.
Citons encore les petits marquis, Patrick Donnay (Clitandre), Fabrice Schillaci (Acaste), qui finalement seront les révélateurs et presque vainqueurs de cette farce cruelle.
Philippe Sireuil, après Dialogue d’un chien avec son maître sur la nécessité de mordre ses amis, déjà avec Philippe Jeusette et Fabrice Schillaci signe cette saison une nouvelle réussite au national.
L’occasion de se replonger ou d’emmener les plus jeunes à la découverte d’une des œuvres les plus complexes, et peut-être la moins explicite de prime abord, mais aussi parmi les plus jouissives tant elle regorge de finesses soigneusement cachées ou détour de chaque phrase.
Muriel Hublet
Spectacle vu le 13-03-2008
Théâtre National
Présentation du spectacle :
Résumé : Alceste n’a pas volé l’épithète de misanthrope qui lui colle à la peau dans l’histoire du théâtre. Pour lui, tous les hommes sont méchants, malfaisants et complaisants. Fourbes, infâmes et scélérats maudits.
L'affiche :
de Molière
Avec Jean-Pierre Baudson, Patrick Donnay, Philippe Jeusette,
Marie Lecomte, Thierry Lefèvre, Florence Minder,
Edith Van Malder, Fabrice Schillaci, Simon Wauters
Un plateau vide, ou presque, immense, bleuté, un peu comme une fenêtre ouverte sur un autre monde (le public est installé de part et d’autre).
Alceste n’a pas volé l’épithète de misanthrope qui lui colle à la peau dans l’histoire du théâtre. Pour lui, tous les hommes sont méchants, malfaisants et complaisants. Fourbes, infâmes et scélérats maudits. 
